Les Interdites by Laure Gombault

Auteur:Laure Gombault
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Books on Demand

Certains soirs, nous fréquentions les théâtres et les cinémas des grands boulevards quand Marina la nourrice acceptait les heures supplémentaires. Ce fut une période culturelle intense. Danielle Darrieux, Suzy Delair, Michèle Morgan et bien d’autres, ces femmes nous enchantaient et parfois Constance approchait l’une ou l’autre, elle commençait à avoir ses entrées dans le monde du show-biz.

Au moment où toutes les conditions étaient réunies pour vous retrouver René et toi et alors que nous avions organisé votre retour le dimanche suivant, une déflagration médiatique fit exploser notre belle harmonie.

Une photo de Constance dans France Soir la précipita dans un scandale sans nom.

Blanche s’étonne d’être prise avec tant d’appétit dans cette fresque rocambolesque. D’abord cette fuite et ensuite cette vie parisienne improbable. Décidément, sa mère est une vraie mythomane ! Romancière pourquoi pas, car ces révélations semblent bien trop fictionnelles pour avoir un quelque rapport avec la simple Louison qu’elle a toujours connue, cette mère affublée de ses blouses de travailleuses à l’usine et mordue de syndicalisme. Comment imaginer qu’elle ait pu habiter un jour les beaux quartiers parisiens ? Pour l’heure, Blanche balaye ces considérations, car elle a hâte de poursuivre le roman maternel et de connaître la nature du scandale qui se profile.

Une photo d’elle en robe Dior avalant littéralement la bouche rouge sang d’une petite starlette du moment. Un flash volé d’un journaliste sans scrupule au seuil de sa loge. L’époque raffolait déjà des pages people.

Quelle honte ! Quelle infamie, la maison Dior habillait les lesbiennes !

Je ne sais plus ce qui me heurta le plus, la violence avec laquelle la bonne bourgeoisie cria au scandale ou le constat du désir de Constance pour cette femme. Bien sûr, elle n’avait aucun compte à me rendre, sa vie ne m’appartenait plus, mais j’y ai vu le début d’une autre ère, un auspice funèbre. Et je ne m’y trompai pas. À partir de ce moment, notre heureux équilibre vacilla. Constance fut renvoyée et sa starlette la quitta. Au début, l’injustice la maintint dans une colère salutaire, mais peu à peu, Constance plia sous le poids des quolibets et comprit que sa carrière ne décollerait plus. Plus aucun couturier ne la courtisait alors même que leurs orientations sexuelles auraient dû être un gage de soutien indéfectible. L’heure n’était pas aux affranchissements sexuels, chacun défendait son territoire dans sa cage dorée.

Mais jamais Constance ne le supporta. Elle prit l’habitude de fréquenter des bars de nuits, non plus ces endroits sélects dont elle était dorénavant exclue, mais des bouges de bas quartiers. Malgré mes remontrances, elle buvait de plus en plus, ramenant à l’aube dans notre appartement, de pauvres gamines perdues ou de jeunes hommes héroïnomanes poètes à leurs heures. Elle claquait tout l’argent qui lui restait dans du champagne et des bouteilles de whiskies et ramenait des Galeries Lafayette des cartons remplis de chapeaux extravagants et tailleurs pantalons en flanelle pour se transformer en dandy désabusé. Quand ma colère envahissait tout l’espace de notre relation, elle partait se réfugier dans les caves de Saint Germain des prés habillée en homme.

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